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    Interview Le Bec, Santé : « Pour 1 femme sur 5 j’étais une tortionnaire »

    Le Bec : Le Journal numérique de la Vallée de la Drôme

    A Die, Perrine Millet a créé l’association “Un maillon manquant” pour créer un diplôme universitaire et former les soignants à repérer et accompagner les personnes victimes de violences. La deuxième promo fera sa rentrée en septembre 2020 et compte aujourd’hui 50 inscrits.

    Ce maillon manquant à la chaîne d’accompagnement et à la prévention des violences, Perrine Millet, gynécologue, l’a compris en exerçant son métier. Elle a ouvert un diplôme pour former les soignants et soignantes à déceler mais surtout accompagner les patientes et patients victimes de violences conjugales, sexuelles ou intrafamiliales. Un travail de titan qui réunit les spécialistes de la question, dont Denis Mukwege prix Nobel de la paix, dans une formation continue inter-universitaire (Grenoble-Alpes et Paris-Descartes).

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    Perrine Millet, créatrice de l’association un maillon manquant

    Aujourd’hui, Perrine Millet fait partie du groupe de travail violences gynécologiques lancé par la secrétaire d’État à l’égalité Marlène Schiappa. Elle prépare également un kit de sensibilisation au besoin de formation des soignants à envoyer à plus de 350 maternités, 90 centre de protection maternelle et infantile (PMI), à des médecins généralistes et des kinésithérapeutes.

    Pourquoi avoir lancé cette formation ?

    Perrine Millet : L’association un maillon manquant a été créée pour monter le diplôme. Je n’avais aucune idée de ce que ça représentait. C’est venu d’un cheminement. Au début de mon exercice professionnel, je faisais comme on m’avait dit de faire. Trois femmes sur quatre me disaient, avec vous c’est cool, vous mettez à l’aise, on ne sent rien. Mais il y avait une femme sur quatre pour qui j’étais toujours une tortionnaire. Je me suis mise à poser des questions.

    La première fois que j’ai eu un témoignage d’inceste, il s’agissait d’une femme que je voyais pour la première fois. Elle m’a dit avoir eu des conjoints violents, mais moi je n’y connaissais rien. Au moment où je m’apprêtais à l’examiner, elle avait une réticence et j’ai posé la question “est-ce que vous avez été agressée ?”. Et là, elle me répond qu’elle a été abusée par son père de 3 à 13 ans. A ce moment là je n’ai pas réagi, ça s’appelle le trauma vicariant*. J’étais dans le déni. Je n’ai pas dormi de la nuit.

    Quand elle est revenue, elle m’a dit qu’elle avait menti. Et je savais que ce n’était pas vrai, mais j’ai été incapable de l’accueillir. S’il n’existe rien dans les formations des soignants par rapport aux violences sexuelles, c’est parce que c’est très difficile. Mais il faut arrêter de croire que le vaginisme par exemple, c’est parce que les femmes sont stressées sans raison. Elles sont stressées parce qu’elles ont vécu des choses difficiles et le corps féminin qui est naturellement ouvert se ferme face à l’adversité.

    J’ai fait une formation sur le deuil qui m’a conduit à l’association française de recherche sur l’enfant et l’environnement (AFREE). De fil en aiguille, j’ai fait un diplôme en psycho-périnatalité et ensuite un diplôme addiction et périnatalité. Là j’ai découvert que 70% des grands addicts sont des personnes qui ont vécu des violences sexuelles durant l’enfance. Je me suis dit : “mais c’est quoi ce délire, pourquoi on nous ne le dit pas à tous les médecins de première ligne !” Du coup, j’ai eu envie de créer un diplôme sur les violences.

    Comment se déroule la formation ?

    Perrine Millet : Il y a deux objectifs pédagogiques : questionner de façon systématique les violences et créer un réseau. L’idée, c’est de ne pas rester seule avec la violence énoncée par la patiente. Les publics ciblés sont les médecins généralistes, les gynécologues, les kinésithérapeutes, ceux spécialisés en pélvi-périnéologie et les sages-femmes.  La formation comprend sept modules, 70 heures en présentiel et 35 heures en ligne.

    Pour former l’équipe pédagogique, j’ai contacté Pascale Hoffman, qui est professeur, chef de service du pôle mère-enfant de l’hôpital de Grenoble, pour créer le diplôme. Elle m’a tout de suite dit oui. J’ai aussi contacté Yves Ville, professeur agrégé et chef de service de la maternité à Necker qui a approuvé. Il fallait un comité de pilotage, j’ai donc demandé aussi à Anne Evrard présidente du CIANE (Collectif inter-associatif autour de la naissance), Mathilde Delespine, sage-femme, chargée du programme de prévention des violences faites aux femmes au réseau périnatal NEF, Sophie Guillaume, sage-femme cadre de pôle CHU Necker, Françoise Molenat, pédopsychiatre de l’AFREE.

    On a élaboré un programme et on a construit un diplôme en formation continue, d’une durée d’un an, sur deux universités : Paris-Descartes et Grenobles-Alpes.

    Denis Mukwege-Extrait2 from Un Maillon Manquant on Vimeo.

    Le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018 intervient dans le diplôme Prise en charge des violences faites aux femmes, vers la bientraitance.

    Comment expliquer, alors que la parole se libère sur les violences sexuelles, que les soignants ne soient pas toujours formés à les gérer ?

    Perrine Millet : Quand on est jeune soignant et qu’on est confronté aux corps des autres, à la maladie, à la mort, on n’est pas préparés. En gynécologie-obstétrique, on fait comme tout le monde, on entend et on voit nos pairs dire à la patiente “détendez-vous madame”. C’est une catastrophe, parce que si elle a mal, ça la renvoie à elle. Elle croit que c’est de sa faute alors qu’en fait, très probablement, il s’est joué des choses graves dans sa vie, soit émotionnelles, soit physiques, soit sexuelles ou alors des violences du soin.

    Je me souviens d’une femme qui a passé quinze ans en hôpital psychiatrique. Elle m’a raconté qu’à ses dix ans, elle a vécu une suspicion d’appendicite et le chirurgien, ainsi que deux infirmières l’ont maintenu pour faire un touché rectal ou vaginal. D’aucun diront qu’il n’avait pas le choix, mais si on savait l’impact que ça a sur la vie de la dame, peut-être qu’on aurait fait différemment.

    J’ai loupé des centaines de femmes, je n’ai pas vu. Ces femmes, si on ne les accompagne pas avec la parole, si on ne décrit pas ce qu’on fait, si on ne leur demande pas systématiquement, on réinscrit de la violence puisqu’on réinscrit de la douleur sur des corps qui sont déjà abimés. Il y a des professionnels qui sont plus que maladroits et les gynécologues ne sont pas moins sexistes que le reste de la société.

    Il y a beaucoup de témoignages sur les violences gynécologiques et obstétricales ces derniers mois, notamment durant les accouchements…

    Perrine Millet : En 2001, le rapport Henrion sur les violences conjugales en gynécologiques obstétriques disait qu’il fallait prendre en charge et interroger systématiquement les patientes pendant la grossesse parce que c’était une opportunité de déceler les violences et c’est le moment où on peut tisser une relation de confiance. Roger Henrion a d’ailleurs ouvert la formation en 2018.

    “La parentalité et l’accueil d’un nouvel enfant constituent pour de jeunes parents une situation déstabilisante, pouvant conduire à l’émergence de violences familiales. Il convient donc de développer systématiquement la pratique d’un bilan psychologique pendant la grossesse et dans la période suivant l’accouchement, afin de dépister, en particulier pour la mère, la dépression du post-partum ou baby-blues. De même que les grossesses à risque “physique” sont dépistées, on devrait pouvoir dépister les grossesses à risque “psychologique” afin de mettre en œuvre en cas de besoin un accompagnement psychologique.”*

    Par exemple, j’ai vécu une histoire épouvantable avec un couple, à Montélimar. Une deuxième grossesse, une femme porteuse d’hypertension artérielle, j’ai dû lui faire une deuxième césarienne. La petite allait bien et la maman a fini en réanimation, sans que l’on comprenne pourquoi, on a cru qu’elle allait mourir. Elle est sortie quinze jours après la naissance, elle m’a dit qu’elle a fait une dépression post-partum pour son premier. Je me suis dit “qu’est-ce que je fais pour soutenir cette femme dans le fin fond du sud de la Drôme ?”. Elle est revenue me voir, sa petite était décédée d’une méningite foudroyante… C’est purement clinicien, mais intuitivement, j’ai senti qu’il y avait des choses qui m’avaient échappées dans l’histoire de ce couple. Je n’ai pas interrogé ce qu’elle avait vécu. La salle de naissance est aussi un lieu où se jouent beaucoup de choses liées à la violence, même si ça peut être réparateur.

    Propos recueillis par Elodie Potente

    *Le traumatisme vicariant porte son attention sur les professionnels de l’aide, ceux-là même qui tous les jours, entendent des récits de souffrances de victimes ou de patients, assistent aux effets quotidiens d’une maladie.

    * Rapport violences et santé, Haut comité de la santé publique, 2004 : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/044000405.pdf

    * Plus d’informations : https://unmaillonmanquant.org/

    Rapport du Haut conseil à l’égalité sur les violences gynécologiques et obstétricales : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf

    L’Assemblée nationale a voté, en janvier 2020, un texte de loi donnant la possibilité aux professionnels de santé de signaler à la justice les victimes de violences conjugales « en danger immédiat ». Un texte qui a fait débat, mais qui met en avant l’importance de développer la confiance entre les victimes et leur médecin.

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